Pourquoi croyons-nous que ce que nous sommes n’est jamais suffisant ?

Alors non, je ne prétends pas dans cet article faire une liste exhaustive de toutes les raisons mais juste me concentrer sur une idée dont j’avais d’ailleurs parlé dans l’article « « C’est pas grave », « Il faut que tu… », « Ne pleure pas » et autres phrases assassines face à l’angoisse ». Car aujourd’hui il me tient à cœur d’insister sur ce point et l’approfondir d’un point de vue psychologique d’abord, et spirituel ensuite.

Je me rends compte à quel point c’est le premier réflexe quand quelqu’un ne va pas bien de dire « tu dois », « il faut que tu… »,… Tu m’étonnes qu’après nous croyons ne pas être suffisants, qu’il est interdit d’avoir des fragilités… car dès qu’on laisse en dépasser une, on nous dit combien il faut qu’on change ! On nous dit de changer ce qu’on est qui semble ne pas être adapté au monde ou à la situation, ou au moins changer d’état d’esprit.

C’est en ça qu’on peut croire le mensonge que la solitude est préférable dans les moments difficiles, parce que personne ne va nous dire comment on doit être ou agir. Enfin on peut respirer et se sentir aligné avec ce que l’on ressent… Sauf que si la solitude est bonne pour le ressourcement et grandir en amour de soi, ce qui fait vraiment vivre c’est l’amour des autres et les relations. Mais pour avoir moi-même cru pendant des années que me renfermer était la solution, je comprends aujourd’hui ce qui m’avait motivée à le faire.

Quand on dit à une personne qu’il faut qu’elle change dans ces moments, cela renforce le message que ça n’est pas ok d’avoir des limites, ça n’est pas ok d’avoir des faiblesses, ça n’est pas ok d’avoir des émotions désagréables, ça n’est pas ok d’être exactement telle qu’elle est, parce que dès qu’une de ces limites, une de ces faiblesses, une de ces émotions… apparait, le message est « Tu dois changer ».

Dans ces moments-là, quand une personne partage quelque chose de difficile, elle n’a souvent pas beaucoup de force (car cette dernière est justement prise par les émotions désagréables), alors clairement, s’il y a bien un pire moment pour demander à quelqu’un de mobiliser des forces pour entreprendre, pour changer, pour répondre à un « tu dois », c’est bien celui-là…

Et puis, pensez-y deux secondes : c’est si mal vu de montrer qu’on n’est pas tout puissant, qu’on ne contrôle pas tout… Une personne vous fait ce cadeau de se montrer humaine, authentique, dans la plus simple version d’elle-même, et pour ça, il faut énormément de courage, et vous, vous voudriez refuser ce cadeau en lui disant de changer ? L’unique réponse à apporter ne peut venir que de la compassion, de la compréhension.

Et d’un point de vue chrétien ?

Créés libres

Je crois que chaque personne a été créée libre. Or, l’obligation est le contraire de la liberté… « Vous avez été achetés à grand prix, ne devenez pas esclave des hommes » (1 Co 7,23). Nous avons donc une vigilance à avoir lorsque nous parlons de « devoir », que celui-ci n’aille pas au contraire de la liberté d’enfant de Dieu. Le langage façonne la pensée. Et à force d’utiliser le verbe « devoir » ou de croire l’autre qui l’utilise, on finit par croire que nous sommes vraiment obligés, que nous n’avons pas le choix de faire autrement, alors que la marge de manœuvre que nous avons est toujours plus grande que ce qu’on croit. En plus du fait que, quand on ressent ou fait quelque chose qu’on croit mauvais, la culpabilité apparait, et là on entre dans la honte ou culpabilité d’être soi.

Un ami expliquait très bien le paradoxe à vivre qui est à la fois de s’aimer soi-même tel que l’on est et être heureux avec ça, tout en cherchant à vouloir évoluer, grandir, s’améliorer. Mais une chose est de laisser les événements nous façonner, de chercher à offrir la meilleure version de nous-mêmes aux autres, de se remettre en question à certains moments,… une autre est de chercher à correspondre à ce que le monde attend au oubliant notre propre liberté, de chercher à répondre à des injonctions externes et des ordres, surtout quand c’est absolument pas le moment.

Notre unique devoir : la conversion (chrétienne)

Je crois aujourd’hui que, en tant que chrétienne, la seule et unique chose que « je dois », mon seul devoir, est de me convertir. Rien de plus !! Si quelque chose ne découle pas de ça, c’est que je n’ai aucune obligation. Oui je dois lâcher cet « instinct de propriétaire » dont parle St Jean de la Croix pour garder les mains ouvertes face à ce qui arrive ou qui part, oui je dois aimer toujours plus, oui je dois grandir en confiance en Dieu, en moi, en les autres,… Mais tout ce qui n’est pas quelque chose induit par cette urgence de la conversion pour mon propre bonheur et celui des autres, n’est que pure contrainte et ne rentre aucunement dans le devoir du chrétien. Et pourquoi la conversion est mon seul devoir ? Parce que j’ai été créée par amour, totalement gratuitement, alors rien n’est attendu de moi autre que ce qui me fera aller vers plus de bonheur et de déploiement intérieur.

Tenir ce genre de discours à une autre personne est un péché

Ce que je vais dire est peut-être dur mais je commence même à croire que pour un chrétien c’est un péché de tenir ce genre de discours car si nous sommes tout le temps en train de dire à une personne qui va mal qu’elle doit changer, on est en train de créer une barrière énorme entre la personne et Dieu, immisçant petit à petit l’idée que si elle doit changer, c’est qu’elle n’est pas aimée exactement telle qu’elle est par Dieu, ou du moins, pas jusque dans ses difficultés, ses limites, ses vulnérabilités. Oui je pèse mes mots (enfin en l’occurrence, le mot) quand je parle de péché et je crois même qu’il est double. Car comme le titre de l’article sur l’angoisse cité plus haut le dit très bien, il y a de l’ordre de l’assassinat dans ce genre de discours. Avec ce discours on tue la confiance en soi de l’autre, on tue son amour propre,… Ça c’est le premier péché. Le deuxième étant de tuer la possibilité d’action de la grâce en incitant la personne à entrer dans un volontarisme forcené, ce que le Pape François dénonçait dans son encyclique Gaudete et Exsultate avec le pélagianisme en le qualifiant entre autre de « Volonté sans humilité » : « Ce n’était plus l’intelligence qui occupait la place du mystère et de la grâce, mais la volonté. On oubliait qu’« il n’est pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » (Rm 9, 16) et que « lui nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19). » (Texte complet disponible ici, points 47 à 62). Oui, c’est la grâce qui fait que nous sommes ce que nous sommes « Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis » ( 1 Co 15,10), c’est l’Esprit de Dieu qui nous transforme.

J’ai bien-sûr conscience que ça n’est pas facile d’affronter sa propre impuissance à ne pas savoir comment aider l’autre, alors à défaut de mieux, on va répéter ce que tout le monde dit et c’est compréhensible.

Alors qu’est-ce qu’on peut dire à une personne qui ne va pas bien ? « Nous n’avons pas aujourd’hui la grâce de demain », « je crois en tes ressources », voire même les lui rappeler ou lui redire ce qu’elle a déjà réussi à traverser. « Je pense que ça te ferait du bien de… (proposer une activité), ça te dit ? » ou dites ce que VOUS vous êtes prêt(e) à faire pour la personne. Ou encore mieux, vous pouvez également, comme me le fait cet ami dont je vous parlais, demander tout simplement « qu’est-ce que je peux faire pour t’aider à aller mieux ? » Et bien-sûr, agir de même avec soi-même. 🙂 Pour ceux qui souhaitent avoir d’autres exemples, vous pouvez (re)lire l’article « Comment aider une personne à sortir d’une crise d’angoisse ? »,  valable dans d’autres cas que les crises d’angoisse. Mais pour redire l’idée clé : c’est en montrant qu’on aime l’autre exactement tel qu’il est à cet instant, que ça lui donnera la force nécessaire d’avancer sur le chemin sur lequel il est amené… Love before Move…

Et comme le dit la musique d’illustration « It’s ok not to be ok as long as you know that everthing’s gonna be ok », “C’est ok de ne pas aller bien, tant que tu te rappelles que tout va bien aller.”

Musique d’illustration : Anxiety – Mabel

Crédit photo : 1/ et 2/ Kelly Sikkema. Edited.

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