Vulnérabilité et faiblesse, quelle différence ?
Si la vulnérabilité n’est pas faiblesse, alors quelle différence ?
Le mot vulnérabilité a l’air si abstrait alors comme « fragilité » est plus concret, on a tendance à associer les deux, à les dire à la suite, comme des synonymes. Mais non, sans vouloir vous spoiler et tenter un résumé de ce qui suit ici, la différence existe, et pas des moindres. Cet article est composé d’une partie étymologique, reprise du Mémoire de licence canonique de théologie d’Isabelle Laurent, et une autre partie plus expérientielle. (Pour le Mémoire universitaire, je n’ai pas laissé toutes les sources pour faciliter la lecture mais elles sont bien sûr disponibles sur demandes).
Un mot présent dans tous les domaines
« Ce mot a commencé à apparaitre dans des travaux en sciences humaines il y a une trentaine d’années. Il est à présent utilisé de façon transdisciplinaire. Alors que le mot est absent du Dictionnaire de Spiritualité, les éditions sur ce thème explosent depuis trois ans : en urbanisme (« Vulnérabilités et résiliences urbaines« , Revue urbanisme), en écologie (Les petits États et territoires insulaires face aux changements climatiques : vulnérabilité, adaptation et développement – Les Éditions en environnement VertigO), en économie (« Vulnérabilité et crises financières », L’Harmattan), en géopolitique (A. SALAM PEKEKUE, « La vulnérabilité du Cameroun face à la montée en puissance du djihadisme : le cas de BokoHaram Dan », Edilivre-Aparis), en sciences humaines (« Pauvreté et vulnérabilité sociale », La documentation française) spiritualités (Fabrice MIDAL, « La tendresse du monde : l’art d’être vulnérable », Flammarion) , jusqu’au dernier livre de Jean Vanier, Jésus vulnérable. Les titres et domaines sont éloquents : qu’est-ce qui échapperait encore à la notion ?! Ce qui signifie qu’il s’y révèle un enjeu.
Définition de la vulnérabilité
Mais le concept est flou, souvent utilisé de façon équivalente avec la fragilité, voire la faiblesse. Que signifie-t-il ? Le mot vient du bas latin vulnus-eris, qui signifie « blessure« , et du suffixe –abilis qui signifie « capable de, qui peut être » ; vulnerabilis signifie donc à la fois « qui peut être blessé » et « qui blesse« , capable de blesser. La vulnérabilité aurait donc à voir d’abord avec une capacité, celle de la blessure reçue ou infligée. La blessure, quant à elle, est définie comme une « atteinte à la sensibilité« . Mot à mot, la vulnérabilité serait donc une capacité d’atteinte soit à la sensibilité propre, soit à la sensibilité de l’autre. Par conséquent, ce n’est pas d’abord un équivalent de la souffrance comme on l’entend souvent, la souffrance n’étant qu’une conséquence possible de cette vulnérabilité. Nous ne sommes pas vulnérables parce que souffrants, mais souffrants parce que vulnérables. La souffrance est un des signes possibles de la vulnérabilité. Mais ce n’est pas le seul. Si l’on reconnait la vulnérabilité à ses conséquences, cela ne veut pas dire qu’elle y est équivalente. Le concept est plus large. Car pourquoi cette « capacité d’atteinte » ne pourrait-elle pas ouvrir à d’autres sentiments ou sensations que la souffrance ? En effet, la sensibilité peut être atteinte ou atteindre de bien des façons : de manière corporelle, psychique et spirituelle.
Différence entre vulnérabilité, fragilité, faiblesse
Le terme est aussi à différencier de celui de fragilité, mot dont l’étymologie latine fragilis signifie « cassant, frêle » – nous sommes ici du côté de la brisure – et opposé à celui de faiblesse, qui désigne un manque de force morale ou physique – puisque l’on est ici du côté d’une déficience. Or, on peut être vulnérable et fort. [Comme Thierry Bizot en témoigne :
« Soudain, fond sur moi une vérité toute simple, qui me foudroie : cette petite troupe que j’ai sous les yeux, ces bras cassés, comme il me plait de les qualifier, eh bien j’en suis un… […].J’ai bien essayé de protéger mon amour-propre derrière ma certitude d’être plus intelligent, plus cultivé, plus équilibré, plus moderne, mieux habillé, plus drôle, plus fort qu’eux… mais je suis aussi vulnérable que le vieux débris, aussi nécessiteux que la dame au chapeau, aussi simple que le Portugais. »]
Mais [on ne peut] jamais [être] faible sans être vulnérable. Car la vulnérabilité fait partie de la condition humaine commune. « Le Moi, de pied en cap, jusqu’à la moelle des os est vulnérable » (A. Leonard). Elle est ce « fond commun d’humanité » (ibidem) d’une capacité d’être affecté, autre façon de dire la blessure, par l’autre, par les événements, mais aussi par moi-même. Cette capacité est une sensibilité spécifiquement humaine, au sens d’une possible réceptivité des autres, de moi-même et des événements du monde. C’est pourquoi la vulnérabilité ne peut être traitée comme extérieure à la personne ordinaire – c’est-à-dire ne concernant que des personnes dites « vulnérables » – mais comme faisant intrinsèquement partie de la condition humaine.
La vulnérabilité comme capacité d’être touché
Pascal Ide, quant à lui, précise le concept de vulnérabilité « au sens positif d’une porosité à la réception. » Cette porosité et cette réceptivité font écho à la sensibilité que nous avons vue plus haut définir l’homme. Cette réceptivité s’enracine dans la conscience de sa finitude contre le modèle moderne de la puissance. Si cette finitude est capable de réceptivité, une réceptivité liée à la blessure, cela ne veut pas dire qu’il consente à cette réceptivité. Or en la refusant, l’homme ne peut se respecter, et bloquant ce respect de lui-même, ne peut respecter les autres ; d’où la capacité de blesser à son tour, inscrite dans cette vulnérabilité même. On perçoit combien cette possibilité n’est pas systématique, et qu’elle va demander un travail si l’on accepte de s’engager sur ce chemin. »
Ainsi, si la vulnérabilité est une « capacité d’atteinte soit à la sensibilité propre, soit à la sensibilité de l’autre, » l’enjeu qui apparait alors semble être le consentement à sa propre vulnérabilité pour limiter les blessures infligées aux autres.
En guise de conclusion
Quant à moi, je crois qu’être vulnérable c’est être mis à nu ou se mettre à nu, que cela soit volontaire ou contraint par une parole ou attitude d’un autre. C’est une reconnaissance de notre non toute-puissance. Alors que la faiblesse est une absence de force. Etre angoissé, avoir des blessures, n’est pas une absence de force, parfois même au contraire. Peut-être que la confusion s’est faite quand on a confondu la force avec le contrôle. Or, la force n’a rien à voir avec le contrôle car le mot vient du latin « fortis » qui veut dire courageux. Et une des définitions du Larousse est « énergie morale, capacité à résister aux épreuves, d’imposer son point de vue, sa volonté. » Et je crois que c’est très lié à la capacité à aller de l’avant, même dans l’épreuve. Et on peut continuer à avancer, on peut se montrer fort, même dans les larmes, comme j’en parlais dans l’article « ‘Sois fort(e).’ Vraiment ? ».
Ça n’est pas parce que je ne peux pas contrôler tout ce qui est en moi – je suis un être vivant, pas un programme informatique ! – que je ne suis pas forte. C’est pour cela que quand une personne se montre authentique, c’est-à-dire avec toutes ses zones de lumières et ses zones plus sombres, qu’elle se met comme à nu devant nous, on trouve ça courageux et non faible. C’est pareil avec nous. Ça ne devrait pas être de la honte qui nous habite quand on se laisse être vulnérable car sinon ça voudrait dire qu’on a honte d’être simplement… soi. C’est vrai ça, pourquoi quand quelqu’un se montre vulnérable, on le voit comme du courage, mais si nous y sommes conduits malgré nous, on le voit comme de la faiblesse ? (Alors bien sûr, il ne s’agit pas de dévoiler toutes ses blessures au premier venu, au risque de lui faire violence – j’ai par exemple été toujours mal à l’aise avec les personnes qui étalent leur souffrance sur les réseaux sociaux, souvent à guise de sous-entendus que ne comprennent pas la plupart des gens mais qui attisent juste une curiosité malsaine. Au niveau psychologique aussi il est bon de savoir vivre une certaine pudeur. Tout est une question d’intention entre l’importance de garder un jardin secret ou des choses à partager seulement avec certaines personnes ou dans un contexte précis, et l’idée de renvoyer aux autres une image de toute puissance et/ou de perfection.)
La faiblesse c’est ne pas pouvoir se battre pour ce qu’on veut, c’est choisir la facilité plutôt que la beauté, c’est croire les gens qui nous trouvent faible et le prendre comme excuse pour ne rien tenter. Etre faible, c’est peut-être ne pas faire preuve de volonté, ou ne pas en être capable. Et on peut faire preuve de beaucoup de volonté même quand on ne contrôle pas tout en nous ou ce qui nous entoure. Car si nous souhaitons exercer notre volonté sur ce qu’on laisse apparaitre ou non de nous, à partir d’une certaine mesure, c’est de l’énergie gaspillée qui pourrait être utilisée pour atteindre ses rêves. Surtout que, s’il y a des choses que nous n’acceptons pas que les autres voient de nous, ou c’est parce que nous ne menons pas une vie un minimum cohérente et donc on est motivé par le mensonge dans ce contrôle, ou bien c’est parce qu’on estime qu’une partie de nous n’est pas aimable et dans ce cas, à refuser de la laisser aimer par les autres, c’est nous-même qui allons commencer à la détester, jusqu’à tourner cette volonté de contrôle en répression contre soi-même.
Dans cette expérience vécue de la vulnérabilité comme l’état de fait que nous ne sommes pas tout-puissants, que nous sommes réceptifs aux événements et personnes qui nous entourent, si, comme nous le disions, le chemin d’acceptation de cette vulnérabilité est la clé pour qu’elle soit « (bien)heureuse », nous trouvons des maitres pour nous guider, comme Isabelle Laurent l’évoque à la fin de son introduction :
« Une autre conviction est que le mystique, mais aussi le misérable, le malade physique ou psychique, l’artiste, l’exilé, le sportif de haut niveau ou le prisonnier, sont dans la démesure d’une humanité excessive. Ils vivent en macro ce que nous vivons en micro. Ils nous montrent à grande échelle ce que nous sommes à petite mesure. Cette « loupe » pourrait mettre mal à l’aise. Pourtant, il y a fort à parier que ce sont eux qui nous montrent notre abcès ou notre joyau, notre état de misère, de souffrance, de relation éperdue à Dieu (consciente ou non), de créativité, de vie et de mort. Et donc notre commune humanité en sa vulnérabilité. L’excès devient alors l’étalon de mesure pour nous montrer que ce sont nous qui sommes comme eux et non eux comme nous. » Belle route sur ce chemin !
Musique d'illustration : Beautifully broken - Plumb
Crédit photo : 1/ Jeremy Bishop. Edited. 2/ Fuu. Edited. 3/ Dominik Vanyi. Edited. 4/ Michael Fenton. Edited.
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