Où est passé le Vivant ? (1/3) Trois tendances sociétales qui nous déconnectent de notre essence

Nous traversons tous une crise de la vulnérabilité en ce moment à plus ou moins grande échelle. Vulnérabilité personnelle et sociétale car notre routine a été cassée, nos repères ont été déplacés voire se sont complétement effondrés. Beaucoup disent que c’est une occasion de retrouver le sens des choses, refixer son regard sur l’essentiel. Et personnellement les circonstances actuelles m’ont amenée à me poser des questions sur ce que c’était qu’être (un) vivant et comment notre mode de vie avec la robotisation à l’extrême, notre éloignement de la nature et le contrôle de tout, nous déconnecte toujours plus de notre essence, avec les fluctuations et imprévisibilités que le vivant implique. La base de ces trois tendances est la croyance que nous sommes tout-puissants, et le développement de ces tendances nourrissent cette même croyance. Un cercle vicieux qui appelle à la créativité de chacun pour sortir de cette schizophrénie.

1. Plus les machines prennent de la place, plus nous nous confondons avec elles

Je crois qu’à force d’autant côtoyer les machines, les ordinateurs, chercher à aller vers toujours plus d’automatisation, de robotisation, de digitalisation dans les entreprises pour la survie de celles-ci (à ne pas confondre avec la survie de l’espèce !) et pire, quand on peut communiquer avec une machine avec juste des ordres vocaux, on se met à fusionner avec elles et à en oublier que nous sommes d’une totale autre constitution. Ça peut paraitre provoc, mais est-ce que ça n’est pas le but du transhumanisme ? On croit que voir un ami par Skype c’est comme le voir en vrai et on oublie totalement que c’est juste un ordinateur qu’on a en face de soi. Bien sûr que pouvoir communiquer à ses proches à distance est TRÈS appréciable, surtout en temps de confinement ou quand les voyages sont limités. Mais on s’est tellement habitués à cette présence pixélisée, on s’est tellement habitués à être partout ailleurs qu’ici et maintenant grâce aux technologies, qu’une présence de qualité, IRL, devient un trésor rare et précieux. Quand on voit que les personnes qui prennent des pauses au travail sont rapidement vues comme des flemmards alors on est peut-être à deux doigts de croire que si on nous branche sur secteur on fonctionne H24 sans problème comme une machine. Les études qui alertent sur la réduction du temps de sommeil, ce qui abime nos organismes, en sont un autre exemple. On s’est complétement déconnectés de nos cycles ou saisons personnels, mais nous y reviendrons.

Je vous renvoie à mes articles sur notre rapport aux réseaux sociaux et sur vivre des journées sans téléphone pour approfondir le sujet.

Le système scolaire nous apprend d’ailleurs lui-même à avoir un mode de fonctionnement robotique, comme l’explique parfaitement les deux vidéos Fondation COTEC (anglais/espagnol). Elles expliquent par exemple que l’école nous forme pour apprendre des métiers très spécialisés, grâce à des exercices répétitifs jusqu’à ce que ça devienne une habitude. Tout comme elle nous pousse à apprendre (et recracher) des informations par cœur et à exécuter des ordres. Exactement les caractéristiques et les points forts des machines… quand la force des humains se situe ailleurs : faire des liens entre des disciplines différentes, gérer l’imprévisible, garder en mémoire les informations importantes grâce aux émotions, l’esprit critique… D’où le danger pour les emplois de demain.

2. La culture de l’immédiateté nous déconnecte de la nature et de ses rythmes

La ville, et le mode de vie urbain associé, nous a complétement déconnecté petit à petit de la nature. On s’est tellement habitué à aller chercher notre poêlée surgelée ou saucisson au supermarché quand on veut qu’on en a oublié le temps que chaque légume avait mis pour pousser ou que le cochon avait mis à grandir avant de pouvoir être transformé en saucisson. On s’est habitué à acheter des potirons en été et des fraises en hiver qu’on en oublie que non, les fraises ne poussent pas en hiver, et les potirons pas en été.

Nous sommes rentrés dans une culture de l’immédiateté dont un autre exemple probant est notre rapport à l’information quand on voit notre capacité à avoir n’importe quelle information (ou presque) où on veut quand on veut (sous condition tout de même de réseau disponible). Quand est le dernier repas que vous avez passé à essayer de vous rappeler une information ou faire des hypothèses sur un sujet pour refaire le monde sans qu’à la demi seconde où une question surgit quelqu’un dégaine son téléphone pour donner une réponse ferme et assurée grâce à Wikipedia ? Nous ne supportons plus de ne pas savoir, nous voulons tout savoir, tout de suite, en preuve le succès et le développement des voyantes, alors qu’il y a pourtant beaucoup de beauté dans ce que nous ne saurons jamais.

Ces exemples, comme beaucoup d’autres (!!) nous gardent dans cette culture de l’immédiateté et nous fait oublier qu’il y a un temps pour tout, que la nature a des cycles, des fluctuations et que nous-mêmes, comme êtres vivants faisant partie de cette nature nous avons des biorythmes et des saisons intérieures…

Et je crois qu’un mode de vie plus écologique nous rend plus heureux car nous reconnecte à notre essence et nous fait grandir en bienveillance. Personnellement j’ai commencé à en prendre conscience à une formation en 2016 (#PBN). L’écologie me fait aimer le simple (pas de superflus), l’espace retrouvé (produits ménagers réduits au minimum par exemple en plus d’être fait-maison), le long terme (grâce aux produits en coton), l’imparfait (vive les chaussettes trouées recousues). On n’est plus dans le « je jette après utilisation ou au premier bug », on apprend à prendre soin des choses et petit à petit, soin des autres et soin de nous-même. Le soin de nous-même s’exprimant par exemple grâce à une démarche d’écologie mentale ou écologie cognitive, en plus du soin du corps. Quand on a conscience que nos ressources personnelles et nos capacités sont limitées, on est plus à même de chercher à en prendre soin pour les optimiser et les faire durer sur le long terme (surtout au vu de la vie professionnelle qui s’allonge avec le repoussement des départs en retraite). Et à propos du corps, faire des soirées (en semaine) ou journées (weekend ou vacances) sans montre m’a aussi appris à être plus à l’écoute de celui-ci comme j’en parlais dans cet article. Parce que, comme la terre, nous ne pouvons pas vivre de manière durable dans une sur-exploitation de nos ressources. Bref, rentrer dans un temps long grâce à une reconnexion à nos ressources.

3. La culture du contrôle finit de nous déconnecter de la nature et amène la recherche de rentabilité ou d’optimisation partout

L’autre tendance qui nous déconnecte de la nature est le contrôle qu’on cherche à exercer sur celle-ci, qui ne respecte pas son cours naturel. Un exemple probant est la transmission de la vie elle-même. Les femmes ont la possibilité de programmer leur règle grâce à la pilule voire à les faire disparaitre. Les couples ou célibataires peuvent également contrôler le moment d’arrivée d’un enfant, la manière dont il est conçu car on peut même se passer de rapport sexuel, contrôler si cet enfant est porteur d’un handicap visible (car il y a des handicaps bien plus douloureux que d’avoir un chromosome supplémentaire mais ceux-là ils ne se voient pas ou se construisent avec le temps en fonction de l’environnement…) ou jusqu’à la couleur des yeux de cet enfant. Je vous renvoie à ce résumé du documentaire « Bébés sur mesure » diffusé sur ARTE ou (en anglais) cet article du Wall Street Journal pour ne citer qu’eux. Et allez c’est cadeau, même le lien de l’institut américain qui vous permet de choisir la couleur des yeux de votre enfant : The Fertility Institutes. Bref, on s’est complétement déconnecté de notre essence de vivant, tout comme de la terre, du temps long où la graine a besoin de grandir pour devenir arbre, où la chenille se prépare à devenir papillon…

Ce qui motive ce contrôle permanent est la recherche de ce qu’on considère comme la perfection, l’idéal.

On contrôle notre poids pour ressembler aux pubs, on contrôle nos émotions pour ne pas passer pour un(e) taré(e) qui manque de rationalité (Freud aurait dit « hystérique en manque de sexe« ), on contrôle notre transpiration (qui pourtant nous est utile !), on contrôle la pousse des poils des femmes. (Vous réalisez qu’on en est venu à trouver répugnant un truc aussi naturel que les poils sur le corps d’une femme (qui est un Homme comme les autres…) ?! Et ça choque personne ?!) Bref, on contrôle les apparences sous toutes leurs formes… Même les fruits et légumes qui sont vendus sur le marché ou dans les magasins sont soumis aux diktats humains de la beauté parfaite et doivent être beaux, désirables. Combien de mises à la poubelle d’aliments invendus « parce qu’ils ne sont pas beaux ». (Arrêtons-nous deux secondes sur le délire quand même… On n’a pas poussé le truc un peu à l’extrême ?). Mais dans le vivant, tout n’est pas lisse, tout n’est pas parfaitement symétrique… Pour sortir du basique « les mannequins se font photoshooter et nourrissent un culte de la perfection qui est si éloigné du réel », je voulais aller au-delà en vous parlant de la chaine Youtube PhotoshopSurgeon qui s’amuse à prendre des portraits de célébrités pour les rendre parfaitement symétrique à l’aide de Photoshop. Le Youtubeur français Squeezie avait d’ailleurs fait une vidéo réaction en découvrant son visage retouché de manière symétrique et en commentant les autres portraits retouchés des célébrités. Je rejoins complétement son point de vue qui disait que les portraits originaux ont plus de charismes, sont plus humains,… « Quand vous appliquez ces proportions parfaites sur un visage, ça donne quelqu’un qui ne fait pas humain tellement les proportions sont inhabituelles, tellement on ne voit jamais ça sur le visage d’un humain. Ça n’existe pas, sauf si vous avez fait énormément de chirurgie esthétique. C’est inconfortable de voir un visage [aux proportions parfaites]. […] Ça me fait peur. On dirait un humanoïde, une sorte de personne dans laquelle on a mis un cerveau mais qui a un corps de robot. » La bonne nouvelle c’est qu’il n’y a donc pas besoin de dépenser autant d’argent dans de la chirurgie esthétique, sauf si on veut avoir l’apparence d’un robot. Et on en retourne à mon premier point… 🙂

Bref, quelle place reste-t-il juste pour la VIE ? Quelle place pour ce qui n’est pas parfaitement contrôlé, programmé, à l’apparence parfaite ? Quelle place pour l’imprévu, les dons reçus, les surprises de la vie et le désordre artistiques dont les enfants sont experts ?

Sans rentrer dans le détail ou la polémique, s’il y a bien quelque chose qui profite et alimente ce désir de contrôle et d’instantanéité car il se base dessus et donc contribue à tuer le vivant car il ne respecte pas ses rythmes, c’est bien le système capitaliste (instantanéité des produits à délivrer au consommateur, des profits à donner aux actionnaires… cherche à contrôler un maximum de paramètres pour s’assurer la place nº1 sur le marché…). Comme le dénonce le philosophe Dominique Bourg, la compétitivité et la recherche de productivité à l’extrême abime le vivant. Ce qui rejoint le discours de la vidéo de la Fondation COTEC que j’évoquais plus haut : les Hommes sont faits pour la complémentarité et non la compétitivité.

Alors que le vivant permet la présence, la disponibilité, l’adaptation, l’accueil des émotions… car par nature le vivant est incontrôlable, imprévisible. Dans « vivant », j’entends « au gré du vent ». On ne peut pas juger le vivant en disant que sa façon de vivre, de se mouvoir, de s’exprimer est bien ou mal, il ne fait que vivre ! On ne peut pas lui reprocher un manque de contrôle car l’essence du vivant n’est pas programmable.

Et les mêmes qui nous disent que l’on peut consommer partout tout le temps, qu’il ne faut pas « perdre de temps », qu’il faut « être efficace » nous disent « mais lâche le contrôle voyons ! Sois plus flexible ! ». On devient fou…

Dans la seconde partie de cet article, je vous parle de trois conséquences que j’identifie à ce mode de société et dans la conclusion, j’apporte un petit témoignage personnel.

Musique d'illustration : Course contre la honte - Grand Corps Malade & Richard Bohringer

Crédit photo : 1/ Science in HD 2/ Aziz Acharki. Edited. 3/ Ben White. Edited. 4/ Pineapple Supply Co. Edited.

Le blog Bienheureuse Vulnérabilité est absent de tous les réseaux sociaux. Pour être tenu informé(e) des articles récents, abonnez-vous à la newsletter ici ou sur la colonne de droite. Juste 1 mail par mois, pas de spam, ni de transmission de votre adresse à un tiers, promis ! 🙂

Articles récents :

Leave a Reply

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.