Le pouvoir de la vulnérabilité – Brené Brown
Si je vous disais que cette conférence TEDx a eu 30 millions de vues, je crois que ça suffirait à résumer la puissance du message de Brené Brown qui m’avait profondément marquée il y a déjà plusieurs années. Elle raconte humblement comment ses recherches pour essayer de contrôler sa vulnérabilité afin d’être plus forte lui a fait comprendre que c’était justement la perte de contrôle qui lui permettrait de se sentir libre.
Et c’est ainsi qu’elle a commencé à travailler les relations humaines, avec le désir de rendre un sujet complexe plus accessible à tous. Parce qu’après 10 ans de travail dans le social, elle constatait combien les relations humaines sont la raison de notre présence sur terre. Or, pendant ses entretiens, quand elle a interrogé des personnes « sur le sentiment d’appartenance, ils [ont] raconté leurs plus atroces expériences où ils étaient exclus. Et quand [elle a] interrogé les gens sur les relations humaines, les histoires qu’ils [ont] racontées parlaient d’isolement. » Alors après six semaines de recherches, elle a « buté sur une chose sans nom qui détruisait totalement les relations » d’une façon qu’elle ne comprenait pas. En prenant du recul sur ses recherches, elle a compris que ce dont il s’agissait était le sentiment de honte. « On peut vraiment comprendre la honte facilement si on la considère comme la peur de l’isolement. Il y a-t-il quelque chose chez moi qui ferait que, si d’autres le savaient ou le voyaient, je ne mériterais pas d’être en relation avec eux ? » Ce sentiment est universel et « les seules personnes qui n’éprouvent pas la honte sont celles qui sont incapables d’empathie ou de relations humaines. » Et la base de cette honte est la croyance que « je ne suis pas assez bien » que nous pouvons aussi traduire par « Je ne suis pas assez neutre. Je ne suis pas assez mince, pas assez riche, pas assez beau, pas assez malin, pas assez reconnu dans mon travail. » « Ce qui est à la base de tout ça, c’est une atroce vulnérabilité, cette idée que, pour pouvoir rentrer en relation avec les autres, nous devons nous montrer tels que nous sommes, vraiment tels que nous sommes. »
Le monde se divise en deux groupes de population
Si Brené utilise un adjectif si péjoratif pour décrire la vulnérabilité c’est parce qu’à ce moment là de sa vie, elle « détestait » la vulnérabilité. Alors elle a trouvé dans ce travail l’occasion parfaite de décortiquer ce concept, le comprendre, pour ne plus se faire avoir par lui et ainsi être « la plus forte ». Elle s’était donnée un an, elle en a finalement pris six, mais le résultat obtenu n’a pas été du tout celui attendu. A travers des milliers de récits, des centaines de longs entretiens, de groupes de discussion, elle a compris ce qu’était la honte, comment elle fonctionnait. Elle en a écrit un livre, une théorie. Mais elle n’était pas satisfaite. Car, si elle prenait les personnes qu’elle avait interviewée, elle pouvait grossièrement les diviser en deux catégories : « ceux qui croyaient vraiment en leur propre valeur » qui fait découler ensuite un fort sentiment d’amour et d’appartenance, et « ceux qui se demandent tout le temps s’ils sont assez bien. » La seule différence entre ces deux catégories est que ceux qui ont un fort sentiment d’appartenance pensent qu’ils méritent cet amour. Brené comprenait donc que « la chose qui nous prive de relations humaines est notre peur de ne pas mériter ces relations » Elle a alors entamé un travail de recherche du pourquoi cette différence. Et sa conclusion est que le point commun de ces personnes était « le sens du courage ».
Elle précise alors la distinction entre le courage et la bravoure : « La définition originelle du courage, lorsque ce mot est apparu dans la langue anglaise — il vient du latin « cor », qui signifie « cœur » — et sa définition originelle était : raconter qui nous sommes de tout notre cœur. » Elle continue en expliquant que :
« Ces gens avaient, très simplement, le courage d’être imparfaits. Ils avaient la compassion nécessaire pour être gentils, tout d’abord avec eux-mêmes, puis avec les autres, car, à ce qu’il semble, nous ne pouvons faire preuve de compassion envers les autres si nous sommes incapables d’être gentils envers nous-même. Et pour finir, ils étaient en relation avec les autres, et — c’était ça le noyau dur — de par leur authenticité, ils étaient disposés à abandonner l’idée qu’ils se faisaient de ce qu’ils auraient dû être, de façon à être qui ils étaient, ce qui est un impératif absolu pour entrer en relation avec les autres. »
Leur second point commun de ce groupe était l’adoption de la vulnérabilité par les personnes.
« Ils pensaient que ce qui les rendait vulnérables les rendait également beaux. Ils ne prétendaient pas que la vulnérabilité était confortable, ni qu’elle était atroce — comme je l’avais entendu auparavant dans les entretiens sur la honte. Ils disaient juste qu’elle était nécessaire. Ils parlaient de la volonté de dire « Je t’aime » le premier, la volonté de faire quelque chose quand il n’y a aucune garantie de réussite, la volonté de ne pas retenir son souffle en attendant le coup de fil du médecin après une mammographie. Ils étaient prêts à s’investir dans une relation qui pourrait marcher, ou pas. Ils pensaient que c’était essentiel. »
La chercheuse a alors fait une dépression car ça n’était pas du tout les conclusions qu’elle avait prévues et souhaitait contrôler ce qui apparaissait dans son travail de recherche. Elle explique : « Je ne pouvais pas croire que j’avais prêté serment d’allégeance à la recherche — le principe même de la recherche est de contrôler et de prévoir, d’étudier un phénomène dans le but explicite de le contrôler et de le prévoir. Et là, ma mission de contrôler et de prévoir aboutissait au résultat que la meilleure façon de vivre est d’accepter sa vulnérabilité, et d’arrêter de contrôler et de prévoir. »
Elle a donc décidé d’aller voir un psychothérapeute pour l’aider à trouver une « stratégie » à son « problème » qui était : « je sais que la vulnérabilité est au cœur de la honte et de la peur et de notre problème d’estime de soi, mais il semble que ce soit aussi la source de la joie, de la créativité, du sentiment d’appartenance, de l’amour. » Sa thérapie a duré un an, une vraie « tuerie » où quand « La vulnérabilité gagnait du terrain, [elle] le regagnait à nouveau. » Elle conclut tout de même sur cette année que « J’ai perdu la bataille, mais j’y ai sans doute récupéré ma vie. » Et elle a repris ses recherches pour comprendre comment les personnes du premier groupe faisait ce choix vis-à-vis de la vulnérabilité, contrairement au groupe deux dont elle faisait partie.
Comment être de ceux qui croient en leur propre valeur ?
Elle raconte que le jour où elle a demandé sur Twitter et Facebook « Comment définiriez-vous la vulnérabilité ? Qu’est-ce qui vous rend vulnérable ? » Et en une heure et demie, elle avait 150 réponses comme « demander de l’aide à mon mari, parce que je suis malade, et on vient juste de se marier ; prendre l’initiative sur le plan sexuel avec mon mari ; prendre l’initiative avec ma femme ; être rejetée ; inviter quelqu’un à sortir ; attendre que le docteur rappelle ; être virée ; virer des gens ». Brené ajoute que c’est exactement le monde dans lequel nous vivons donc « nous vivons dans un monde vulnérable. Et l’une des façons dont nous traitons ce problème, c’est d’anesthésier la vulnérabilité. »
Et le fait que les adultes d’aujourd’hui des Etats-Unis soient les plus endettés, obèses, accros aux drogues et aux médicaments, de toutes les générations précédentes de ce pays, sont des preuves parmi d’autres de cette tentative d’anesthésie de la vulnérabilité.
Or, le vrai problème qu’a découvert Brené dans ses recherches est qu’on ne peut pas anesthésier ses émotions de façon sélective.
« On ne peut pas dire : » Là, c’est ce qui est mauvais. Voilà la vulnérabilité, voilà le chagrin, voilà la honte, voilà la peur, voilà la déception, je ne veux pas ressentir ces émotions. Je vais plutôt prendre quelques bières et un muffin à la banane. Je ne veux pas ressentir ces émotions. […] Vous ne pouvez pas anesthésier ces sentiments pénibles sans anesthésier en même temps les affects, nos émotions. Vous ne pouvez pas anesthésier de façon sélective. Alors quand nous les anesthésions, nous anesthésions aussi la joie, nous anesthésions la gratitude, nous anesthésions le bonheur. Et nous nous retrouvons malheureux, et nous cherchons un but et un sens à nos vies, et nous nous sentons vulnérables, alors nous prenons quelques bières et un muffin à la banane. Et ça devient un cercle vicieux. »
Brené nous invite donc à réfléchir au pourquoi et au comment de cette anesthésie. Une partie de la réponse se trouve dans notre rapport à l’incertitude. « Nous rendons certain tout ce qui est incertain. » Ce qui implique d’être complétement fermé au dialogue, comme elle l’illustre avec l’exemple de la politique. « Il n’y a plus de discours désormais. Il n’y a plus de débat. Il n’y a que la recherche d’un coupable à blâmer. » Cette recherche d’un coupable à accuser, Brené le décrit dans ses recherches comme « Une façon de se décharger de la douleur et de l’inconfort. » Et en plus de cette mentalité accusatrice, nous recherchons la perfection, comme j’en parlais dans l’article « Où est passé le Vivant ? ». Elle déplore alors par-dessus tout notre manière de chercher à garder nos enfants parfaits. « Ils sont conçus dès le départ pour avoir des problèmes. Et quand vous tenez ces petits êtres parfaits dans vos mains, votre devoir n’est pas de dire : « Regardez-le, il est parfait. Ma tâche est de le garder parfait — m’assurer qu’il intègre l’équipe de tennis dès le CM2, et l’Université de Yale avant la 5ème. » Ça n’est pas ça, notre devoir. Notre devoir, c’est de le regarder, et de lui dire : » Tu sais quoi ? Tu n’es pas parfait, et tu es conçu pour avoir des problèmes, mais tu mérites de recevoir de l’amour et d’être parmi nous. Ça, c’est notre devoir. »
L’autre voie pour pallier ces problèmes et pour passer du second groupe au premier groupe décrit dans les recherches de Brené est « d’accepter de se montrer, de se montrer vraiment, de se montrer vulnérable ; d’aimer de tout notre cœur, même s’il n’y a aucune certitude […], de s’exercer à la gratitude et à la joie dans ces moments de terreur, où nous nous demandons : » Suis-je capable de t’aimer à ce point ? Suis-je capable de croire en cela avec autant de passion ? Suis-je capable d’être aussi fervent ? » Juste pouvoir s’arrêter et, au lieu de s’imaginer les catastrophes qui risquent d’arriver, de dire : » Je suis simplement reconnaissant, parce que me sentir si vulnérable signifie que je suis vivant. » »
Elle conclue en rappelant que tout ce processus de changement est possible quand nous croyons que nous sommes bien tels que nous sommes. Parce que dire « Je suis bien comme je suis » permet d’arrêter de hurler pour commencer à écouter. « Nous devenons plus gentils et plus doux avec notre entourage, et nous sommes plus gentils et plus doux avec nous-mêmes. »
Lien de la vidéo originale (remplie d’humour !) : « Brené Brown : Le pouvoir de la vulnérabilité » TEDxHouseton, Juin 2010
Musique d'illustration : Beautiful Scars - Maximillian
Crédit photo : 1/ Esteban Lopez. Edited. 2/ Dominik Vanyi. Edited.
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