Où est passé le Vivant ? (2/3) Trois conséquences à cette déconnexion de notre essence

Dans cet article, j’expliquais comment la toute-puissance, déclinée en trois axes : croyance que la science et l’évolution sociétale est sans limite, qu’on peut dicter son rythme à la nature et tout contrôler de manière générale, nous déconnecte de notre essence de vivant. Il y a plein de conséquences à cette déconnexion du vivant, j’en évoquais d’ailleurs déjà certaines en filigrane dans le premier article notamment tout ce qui touche à l’état de notre planète. Mais je voudrais me concentrer sur trois conséquences un peu moins évoquées dans les débats courants.

1. Un rapport au temps complétement modifié pour tout évaluer selon sa rentabilité

Aujourd’hui, tout est disponible dans l’immédiateté alors on ne sait plus être disponible pour l’inattendu, pour l’inespéré, avec un cœur ouvert et accueillant à ce qui peut arriver, comme l’explique si bien Fabrice Hadjadj dans son livre « Résurrection mode d’emploi » écrit en réaction au livre « Suicide mode d’emploi » où il explique comment les deux régimes possibles que sont le virtuel (basé sur l’argent) ou le vivant, ont transformé notre rapport au temps. On voit le temps et les événements uniquement en fonction de ce qu’ils nous rapportent. On fait un « bilan » du passé en jugeant notre performance et évaluant les événements du futur uniquement « comme du risque, de l’accident, du déchet » au lieu de regarder le passé comme un mémorial en s’émerveillant de tous les dons reçus qui ne dépendaient pas de nous et de regarder « dans l’avenir, non pas seulement ce qui va arriver à partir de nous, mais ce qui vient à nous malgré nous. »

Dans le régime du vivant « nous reconnaissons dans la mise en terre du grain la folle promesse de l’arbre, dans la mise en linceul de la chenille, celle du papillon dans le débarquement imprévu de notre belle-famille, celle d’une fête comparable aux antiques dionysies […]. » alors que dans le premier régime, « le temps c’est de l’argent », « on voit les mêmes choses, mais selon une estimation sans estime, une connaissance sans reconnaissance ; on évalue ce que rapportera le grain, on soupèse le papillon selon sa plus ou moins grande utilité, on reste persuadé que l’arrivée de la belle famille est un dérangement, à moins qu’il n’y ait la possibilité de faire des affaires avec son beau-père, ou que l’oncle Frédéric, qui heureusement ne s’est pas reproduit, ne nous couche sur son testament. Si la planification nous permet en partie de survivre, c’est malgré tout la reconnaissance de l’inespéré qui nous donne d’être bien vivants. […] On découvre alors le donné au-delà du construit, la grâce au-delà des affaires, l’impayable au-delà de l’achetable. »

Si vous avez l’occasion, je vous invite à lire le passage d’une trentaine de lignes absolument passionnant et percutant pp 36-38, édition Magnificat, 2016.

2. Une vision du monde où nous sommes au centre de celui-ci

L’augmentation dans notre quotidien de la présence des technologies nous fait oublier que beaucoup des éléments qui nous entourent à son propre rythme car elles nous ont fait rentrer dans une relation unidimensionnelle : on commande et la machine obéit (normalement du moins). On oublie que la nature ou les personnes autour de nous ont leur propre rythme. Comme le Pape François l’explique très bien dans son Encyclique Laudato Si (point 106) « C’est comme si le sujet se trouvait devant quelque chose d’informe, totalement disponible pour sa manipulation. » Il développe :

L’intervention humaine sur la nature s’est toujours vérifiée, mais longtemps elle a eu comme caractéristique d’accompagner, de se plier aux possibilités qu’offrent les choses elles-mêmes. Il s’agissait de recevoir ce que la réalité naturelle permet de soi, comme en tendant la main. Maintenant, en revanche, ce qui intéresse c’est d’extraire tout ce qui est possible des choses par l’imposition de la main de l’être humain, qui tend à ignorer ou à oublier la réalité même de ce qu’il a devant lui.

Pape François, 2015

Cette vision des choses, qui place l’homme au centre de tout alimente un double mensonge : celui que nous sommes maitre de tout ce qui nous entoure et de nous situer sans cesse dans une posture qui saisit, qui prend, et non qui reçoit, en plus du mensonge que les choses peuvent nous apporter d’une manière infinie tout ce que nous souhaitons. Or, nous prenons petit à petit conscience que les ressources de notre terre sont limitées et ne peuvent répondre d’une manière infinie à toutes nos demandes.

3. Une schizophrénie et une perte d’identité totale

La troisième conséquence de la déconnexion du Vivant est selon moi, une schizophrénie (comme je l’évoquais brièvement en conclusion du précédent article) et la perte d’identité totale. Le Pape François faisait remarquer d’ailleurs dans cette même encyclique que les déserts augmentent sur la terre à mesure que les déserts augmentent dans les coeurs parce que nous avons perdu de vue l’essentiel et le sens de la vie.

Nous avons perdu notre d’identité parce qu’on s’est déconnecté de notre essence. Peu de personnes prennent le temps de nourrir leur vie intérieure et spirituelle. La frénésie de la consommation ne laisse plus de temps pour ces choses là. On s’est déconnecté de notre Créateur, et donc on s’est déconnecté du sens de la vie et de notre vocation fondamentale qui est d’aimer et d’être aimé. On s’est déconnecté de nos émotions profondes comme guide vers une vie plus heureuse et ajustée. Je parle bien d’émotions profondes et non de passions éphémères non discernées.

Et quand je parle de schizophrénie, c’est parce que nous nous déchirons entre nos élans profonds qui persistent malgré tout et les injonctions de ce monde qui ne respectent pas notre essence profonde, notre corps, notre âme et notre esprit. Alors on tente de trouver un compromis pour ne pas avoir à trop changer ses habitudes ou ne pas se sentir exclu du groupe. Et bon gré mal gré ça tient la route. Jusqu’à une éventuelle crise existentielle comme une maladie, un accident, un burn out… qui ne laisse plus le choix de remettre profondément en causes ses modes de fonctionnement et ses habitudes, parce que là ça n’est plus juste une question de laisser plus de vie jaillir en soi, mais ça devient une question de survie. Et puis à force d’injonctions qui ne respectent pas le naturel du vivant, on se met à trouver mal le fait même de laisser ce jaillir en nous ce qui souhaite (physiquement, psychiquement ou spirituellement). Mais encore une fois, ce même discours qui nous fait refréner les caractéristiques du vivant nous somme de vivre à fond notre vie (même s’il ne reste plus rien de l’essence de celle-ci).

N’attendons donc pas que cette reconnexion à notre essence soit une question de survie. Ayons le courage de remettre en cause nos habitudes et nos croyances pour savourer dès à présent un élan de vie plus grand se déployer en nous.

En guise de conclusion, j’apporte un petit témoignage personnel sur mon chemin pour redevenir vivante… Premier degré ou âme sensible, s’abstenir de continuer la lecture !

Musique d'illustration : Sans moi - Kery James

Crédit photo : 1/ Markus Spiske 2/ Samantha Gades. Edited. 3/Andrew Seaman. Edited

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