« Je pense donc je suis » : ce mensonge qui m’épuise

« Ne pas penser, c’est ne pas être » vs « Tu penses trop ! »

J’en parlais déjà dans l’article « 13 obstacles qui empêchent de vivre au présent », je n’aime pas ne pas penser, parce que ça me donne la sensation d’être une larve incapable de rien. Et donc faire marcher ma cervelle, sans aucun but précis, permet de me rassurer sur ma capacité à être utile, sur ma capacité de produire quelque chose, ne serait-ce qu’intellectuel. Parce que j’ai l’impression que si je ne suis plus capable de penser, je ne suis alors plus très humaine, je n’existe plus vraiment, je tombe dans le contraire de la déclaration de Descartes et donc « je ne suis plus ».

Parce que oui j’ai l’impression que toute la société nous rabâche que faire quelque chose avec la tête, c’est être un Homme au sens le plus noble du terme, et donc ne pas penser, reviendrait à ne pas être. Mais que dire des personnes plus fragiles, celles ayant des déficiences mentales (ou même nous tous quand nous étions enfant !). Est-ce que cela fait d’elles de moindre Hommes ou de second rang ? Pourtant, toute la tendresse que montrent les personnes trisomiques par exemple nous aide certainement plus à nous connecter à notre humanité que n’importe quelle réflexion.

Je parlais dans cet article de la question des bénéfices secondaires, et donc si d’un côté, penser me permet de me sentir exister, m’épuiser à réfléchir me permet également de prouver que oui je peux être très rationnelle et donc que non je ne suis pas soumise à mes émotions. Quand on voit que l’intensité émotionnelle est si mal vue par la société car considérée comme un frein à une vie censée et rationnelle, ça permet de calmer la peur d’être jugée voire rejetée.

Alors on se retrouve devant un paradoxe : on a élevé la vie intellectuelle, la rationalité, la réflexion, la capacité de créer comme la plus grande capacité de l’homme tout en reprochant à certain(e)s – les femmes surtout – de trop penser. Oui d’accord, « penser » au sens où l’entendait Descartes n’a rien à voir avec un hamster mental qui tourne dans sa roue, mais comment faire la différence pendant toutes ces années où l’on se construit ? Il parait que les hommes (l’absence de majuscule est volontaire) sont capables de ne penser à rien, comme le tournait en dérision cette vidéo « The nothing box » mais que l’on pourrait résumer par ce court dialogue « Tu penses à quoi ? – A rien ». Cela fait-il d’eux des personnes moins humaines ? Certainement pas ! (De toute façon, je crois qu’une autre réponse n’était pas envisageable pour éviter un lynchage sur la place publique =D ).

De plus, le principe d’universalisation de Kant propose qu’une action doit pouvoir être érigée comme loi universelle pour qu’elle puisse être bonne. Or, si on peut « trop penser », peut-on être « trop humain » ? Donc la réflexion d’un Homme ne peut être érigé comme critère pour définir l’être humain.

Alors comment sortir de ce paradoxe ?

J’aime donc je suis !

Je l’écrivais furtivement plus haut, la tendresse, signe de l’amour, est ce qui nous fait sentir profondément homme et femme. Je peux donc déclarer : j’aime donc je suis ! J’aime, pas d’un amour pulsionnel qui change d’avis tous les quatre matins dès qu’il y a une femelle ou un mâle plus intéressant. J’aime grâce à cette multitude d’émotions qui me fait ressentir la présence d’un être aimé pendant un moment de qualité, comme le paradis sur terre. J’aime quand je choisis d’aimer ce qui ne parait avoir rien d’aimable – mes misères comme celles des autres.  J’aime parce que la relation de confiance entre deux personnes ou dans un groupe est indispensable pour construire quoique ce soit de solide pour rendre la société meilleure. J’aime parce que c’est la source du seul vrai bonheur. J’aime quand je travaille une présence de qualité et que je l’offre à l’autre en cherchant simplement à accueillir ce qu’il vit sans mentaliser ou juger ce qu’il me partage. J’aime quand dans mon emploi du temps je laisse de la place pour du temps gratuit, un temps où je ne produis rien, dont la seule raison d’être est d’exister pour ce qu’il est, et ainsi me rappeler que moi aussi j’ai le droit d’exister juste pour ce que je suis.

Alors dans cette idée de faire grandir l’ « être », au « faire », pas dans un désir de devenir quelqu’un de passif mais plutôt de laisser jaillir les choses naturellement depuis une vie intérieure riche, j’aimerais troquer la vision de Descartes à celle de Paul Valéry : « Parfois je pense, parfois je suis ».

Musique d'illustration : Heart first - Sarah Reeves

Crédit photo : Design Ecologist Edited.

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2 Comments

  1. Caillaud Matos

    28 février 2021 at 7:22

    Ah Descartes, cet héritage nous aliène plus que nous rendre plus humain. Je dirais pour ma part, je sens dans le sens de sensation, donc je suis. N’est-ce pas les sensations que nous recevons depuis notre conception qui génére des connexions neuronales et nous donnent de penser juste ? Et nous donne par surcroît la sensation d’exister ?
    Merci pour ton article. Il est bon de se sentir connecter. :).

    1. Bienheureuse Vulnérabilité

      2 mars 2021 at 8:51

      Je n’attendais pas un moins beau point de vue de ta part ! C’est également très vrai. Ce sont aussi nos sensations qui nous permettent de nous sentir vivants, de vibrer… Merci pour cet ajout. 🙂

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