Chris

Cet article a été publié sur un blog (privé et n’étant plus en ligne aujourd’hui) début mars 2016, lorsque je vivais à Londres. Il me semblait bon aujourd’hui de partager son message à un plus large public.

En cherchant un titre à cet article, instinctivement j’avais envie d’écrire quelque chose en rapport avec ses deux ans dans la rue. Et finalement je n’avais pas envie de la résumer à ça, alors rien de mieux pour la considérer dans toute sa personne que de l’appeler par son prénom. Chris fait partie des femmes avec qui [j’ai vécu] en Angleterre et qui m’ont beaucoup marquée. Dans cet article je vous raconte comment au cours d’une soirée, elle m’a ouvert une partie de son histoire.

Chris, 55 ans, bouddhiste, deux ans dans la rue après une grande carrière de journaliste. Australienne d’origine, elle a travaillé à Hong-Kong, New-York, Paris,… et vit depuis 25 ans en Angleterre. Elle me racontait qu’il y a 5 ans, elle a créé sa propre entreprise de global consulting (conseil financier), qui existe toujours aujourd’hui. Au début, elle avait d’ailleurs continué à la gérer depuis la rue ! Maintenant bien sûr elle n’a plus de salarié, mais ça fait bizarre de se dire que dans cette maison, nous avons une chef d’entreprise, mais comme elle dit elle-même, c’est juste « officiellement ».

C’est suite à un burn-out qu’elle est tombée malade et petit à petit, s’est complément effondrée. Sauf qu’elle n’admettait pas qu’il y avait un problème. Elle vivait sur ses économies et même l’obligation de vendre sa maison n’a pas été suffisante pour qu’il y ait un électrochoc. C’est le genre de personnes qui te rappelle qu’une dégringolade sociale peut arriver à tout le monde, que la rue n’est jamais si loin. Lorsqu’elle a commencé à se tourner vers les hôpitaux ou les services sociaux, ils la renvoyaient tous en estimant qu’elle n’avait aucun problème. « Mon expression anglaise est trop parfaite pour être le genre de personnes qui a des problèmes ». En même temps, pour tenir 30 ans en tant que journaliste dans la finance, il vaut mieux avoir un bon anglais.

Ça a été dur pour Chris d’accepter de venir dans cette maison. Pour elle, les logements temporaires ne sont là que pour te faire éviter la rue quelques jours ou quelques semaines, pour te remettre finalement dans la même situation qu’avant. Alors après deux ans, tu n’es plus à quelques nuits près. Pourtant maintenant elle accepte éventuellement d’envisager ce lieu comme un tremplin, elle est enfin aidée à l’extérieur, accepte sa maladie et a envie de s’en sortir.

Ça n’est pas toujours évident, parce qu’elle admet elle-même que c’est dur pour elle de réapprendre à vivre dans une société « normale ». Au début, elle faisait d’ailleurs partie des personnes à qui je ne parlais pas parce que je la trouvais rude dans sa manière de s’adresser aux autres parfois. Elle était d’ailleurs la personne pour laquelle sa voisine de chambre était venue me réveiller une fois en pleine nuit pour se plaindre (et autant dire que quand on touche à mon sacro-saint sommeil, je peux devenir terrible !). Cette conversation m’a donc vraiment permis de changer mon regard sur elle. Parce qu’il y a rien à faire, quand on connait un peu l’histoire des gens, il est plus facile de comprendre leur comportement.

« Les seules choses dont je n’ai jamais eu à me soucier sont la nourriture et les vêtements ».

Elle me racontait également ses habitudes pour pouvoir dormir au chaud parfois. Quand tu vas aux urgences, tu sais que tu devras attendre minimum 4h avant de pouvoir être vue par un médecin. Alors pendant ce temps là, elle pouvait dormir.

Etonnement, elle me disait n’avoir jamais eu à se soucier de ce qu’elle allait manger ou de ce dont elle allait se vêtir. Et comme elle l’admet elle-même, vivre dans la rue, ça t’oblige à prendre une sacrée dose d’humilité. Alors qu’avant elle considérait d’un regard dédaigneux les vêtements d’occasion, maintenant elle avoue sans problème qu’elle n’a que ça.

Elle s’est convertie au bouddhisme il y a 27 ans durant un voyage dans l’Himalaya. Elle me partageait que c’est ça qui la faisait tenir pendant cette période difficile qu’elle traversait. Entre avoir un toit et pratiquer sa religion, pour elle le choix est vite fait. Lorsqu’il a été l’heure d’aller se coucher, elle a conclu cette conversation en disant en souriant « Les seules choses que la vie ne peut jamais enlever, c’est la foi, et le sens de l’humour. »

Musique d'illustration : Beau Malheur - Emmanuel Moire

Crédit photo : Siora Photography. Edited.

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3 Comments

  1. Marie Kléber

    19 novembre 2019 at 3:28

    Wow. Quelle claque! Quel parcours.
    J’aime les gens qui peuvent raconter leurs histoires et surtout en tirer le meilleur.
    Merci

    1. Bienheureuse Vulnérabilité

      21 novembre 2019 at 1:48

      Oui, j’étais vraiment heureuse de partager son histoire ! Nous n’avons pas toujours l’occasion de sortir de nos lieux de vies habituels pour rencontrer des personnes plus marginalisées qui le sont parfois devenues du jour au lendemain. Leur histoire est donc un trésor qui est souvent caché.

  2. Ribambelle

    26 octobre 2019 at 6:30

    …merci.
    Avec encore une belle chanson d’illustration.

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