Lettre de réconciliation avec ma main droite

Aujourd’hui je souhaitais vous partager un texte qui m’a bouleversée. Une lettre écrite par une lectrice ayant une main malformée, à cause d’une maladie génétique. Un témoignage inspirant, comme une invitation à nous réconcilier avec tout ce qui est un peu cabossé en nous, visible ou invisible. Cette lettre ouvre aussi le débat sur la place que nous laissons aux imperfections dans notre société, en comparaison à la définition de « normalité » qui serait déjà figée.

Chère main droite,

En attendant que tu tapes cette lettre, je souhaitais avoir un moment de réconciliation avec toi. Tu as sans doute remarqué qu’il y a eu un petit défaut génétique dans la chaine de fabrication familiale qui t’as atteinte directement. De ce fait, tu n’as pas été toujours la plus appréciée par moi ou par les autres.

Au primaire, tu avais été appelée la main empoisonnée par une camarade.

Au collège tu étais celle qui se réfugiait tout le temps derrière main gauche ou dans ma poche, pas seulement pour avoir chaud mais pour fuir le regard des autres. Ces autres qui demandaient souvent à te voir comme une bête de cirque, la femme à barbe ou Elephant man. J’en étais même venue à être reconnaissante que ce soit moi qui ai ce handicap et non ma petite sœur. Elle aurait trop pris à cœur toutes les remarques et autres gentillesses et en aurait beaucoup plus souffert que moi.

Au lycée, c’était « la pince ». Ce qui était finalement une bonne image. Et ne dit-on pas « se serrer la pince » ? Au détour d’une conversation, j’avais entendu quelqu’un dire à ma table : « Si mon enfant est malformé, j’avorte direct ! ». J’ai beugué. Est-ce que si c’est juste les mains et les pieds ça compte ? Si c’est oui, alors merci Maman et Papa de m’avoir assez aimé pour me garder quand même. C’est dur de découvrir que dans une autre famille on n’aurait peut-être pas voulu de moi à cause de toi.

Il parait que tu n’es pas normale… Qu’est-ce que la normalité ? La majorité ? Pourquoi avoir cinq doigts quand quatre suffisent ? Je n’ai jamais entendu Mickey se plaindre à ce sujet.

Et puis tu n’es pas dénuée de capacités : Tu sais jouer de la harpe et produire un son, de par ta morphologie, que personne ne peut imiter. Heureusement la harpe ne nécessite que huit doigts, j’en ai donc un de trop sur main gauche, quelqu’un en veut un ? Tu es agile même s’il te manque des articulations et tu es plus précise que main gauche. Mais celle-ci a beaucoup plus de force. Vive la complémentarité ! Pas toujours évident pour certain sport. Au tennis par exemple, tu n’avais pas la force de tenir la raquette avec bras droit mais avec bras gauche j’envoyais la balle n’importe comment. La faute à des années de mise à l’écart pour les travaux de force. Du coup, j’aimais bien le ping pong. Pas facile non plus de bien tenir un crayon. Tu m’as souvent très bien accompagnée dans les dictées, rédactions et autres équations. Ta bosse de l’écrivain peut en témoigner. Cela te donne un côté bossu. Bossu de Notre Dame ? Vulnérable mais pleine de richesse en fait. Tu m’as même permise d’avoir un point de plus au bac de sport.

Je dois t’avouer que quand, enfant, j’ai réalisé que tu étais différente, je ne t’ai pas beaucoup aimée. J’avais une main préférée. Pourtant tu m’as aidée à me latéraliser plus facilement grâce à moyen mnémotechnique de mon invention basée sur cette différence. Mais main gauche avait le dessus ! Il y a eu un changement dans mon esprit quand j’ai lu que dans la Bible, le « bon » côté était la droite et le « mauvais », la gauche. A partir de ce moment-là, main gauche est devenu ta protectrice et ta complémentaire et non ton adversaire.

Un autre passage de la Bible fait référence à toi : « L’homme à la main paralysée« . J’ai fait une fois un atelier d’écriture. Le thème était la souffrance et la personne qui organisait s’était basée sur ce passage pour préparer et nous inspirer. Quelle coïncidence ! Cela faisait tellement écho à mon expérience.

Que de fois quand j’étais petite, j’ai souhaité que tu te transformes comme par magie pour qu’on me foute tout simplement la paix. Que de difficultés pour comprendre que ce n’était pas toi ou moi le problème !

L’autre jour j’ai rêvé qu’une personne amie te prenait, t’entourait d’attentions, de bisous et d’amour. Est-ce un désir profond que de vouloir que tu sois aimée encore plus dans ta vulnérabilité, que tu sois regardée avec amour et non par curiosité ? Qu’on ne me dise pas en te découvrant : « Ha ouais quand même » mais que tu es la plus belle jamais vue ? Parce que tu as été beaucoup détestée, j’ai envie que tu sois beaucoup aimée.

Je t’embrasse,

Marie*

PS : Pourquoi Jésus ne peut plus manger de M&M’s ? – Parce qu’il a des trous dans les mains.

Musique d'illustration : Something more - Nick Vujicic

Crédit photo en-tête : Joey Yu. Edited.

*Le prénom a été changé

2 Comments

  1. Ch'tite Breizh

    13 mai 2018 at 11:21

    Wouah.
    Juste merci pour ce beau texte <3

    1. Bienheureuse Vulnérabilité

      13 mai 2018 at 4:24

      Avec grand plaisir ! D’autres superbes articles d’invités sont à venir…. 🙂

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